27 septembre, Chambon
George Sand | Journal d’un voyageur pendant la guerre (1871)
27 au soir.
Nous avons été voir un vieil ami à Chambon. Cette petite ville, qui m’avait laissé de bons souvenirs, est toujours charmante par sa situation ; mais le progrès lui a ôté beaucoup de sa physionomie : on a exhaussé ou nivelé, suivant des besoins sanitaires bien entendus, le rivage de la Vouèze, ce torrent de montagne qui se répandait au hasard dans la ville. De là, beaucoup d’arbres abattus, beaucoup de lignes capricieuses brisées et rectifiées. On n’est plus à même la nature comme autrefois. Le torrent est emprisonné, et comme il n’est pas méchant en ce moment‐ci, il paraît d’autant plus triste et humilié. Mon Aurore s’y promène à pied sec là où jadis il passait en grondant et se pressait en flots rapides et clairs. Aujourd’hui des flaques mornes irisées par le savon sont envahies par les laveuses ; mais la gorge qui côtoie la ville est toujours fraîche, et les flancs en sont toujours bien boisés. Nous avions envie de passer là quelques jours, c’était même mon projet quand j’ai quitté Nohant. Je m’assure d’une petite auberge adorablement située où, en été, l’on serait fort bien ; mais nos amis ne veulent pas que nous les quittions : le temps se refroidit sensiblement, et ce lieu‐ci est particulièrement froid. Je crains pour nos enfants, qui ont été élevées en plaine, la vivacité de cet air piquant. J’ajourne mon projet. Je fais quelques emplettes et suis étonnée de trouver tant de petites ressources dans une si petite ville. Ces Marchois ont plus d’ingéniosité dans leur commerce, par conséquent dans leurs habitudes, que nos Berrichons.
Notre bien cher ami le docteur Paul Darchy est installé là depuis quelques années. Son travail y est plus pénible que chez nous ; mais il est plus fructueux pour lui, plus utile pour les autres. Le paysan marchois semble revenu des sorciers et des remègeux. Il appelle le médecin, l’écoute, se conforme à ses prescriptions, et tient à honneur de le bien payer. La maison que le docteur a louée est bien arrangée et d’une propreté réjouissante. Il a un petit jardin d’un bon rapport, grâce à un puits profond et abondant qui n’a pas tari, et au fumier de ses deux chevaux. Nous sommes tout étonnés de voir des fleurs, des gazons verts, des légumes qui ne sont pas étiolés, des fruits qui ne tombent pas avant d’être mûrs. Ce petit coin de terre bordé de murailles a caché là et conservé le printemps avec l’automne.
George Sand, Journal d’un voyageur pendant la guerre, Bibliothèque électronique du Québec, p.52–54.
Après Saint‐Loup, voici George Sand à Chambon‐sur‐Voueize, qu’elle avait découvert au printemps 1859 lors d’un voyage qui l’avait menée de Boussac en Auvergne. Elle écrivait ainsi à la date du samedi 28 mai :
Chambon admirablement situé dans un trou sur la Vouèze. Le pays ressemble beaucoup à celui du Pin et de Gargilesse, mais plus vaste et moins gracieux. Du petit pont, il y a pourtant un fond de prés, d’arbres et de cascades ravissant. Je fais un tour par là avec Bérengère, le soleil couchant est superbe. Nous allons ensuite voir l’église avec Manceau. Elle est très grande et très belle, pur style roman sans ornement, mais très élevée et très sévère, couverte d’un affreux badigeon. La petite ville est propre et jolie malgré des torrents de pluie qui nous forcent à rentrer.
George Sand, Journal de voyage en Auvergne et en Velay, in George Sand en Auvergne, « Présence de George Sand n°36 », édité par l’Association pour l’étude et la diffusion de l’œuvre de George Sand, 1990.
Elle « regrette » les aménagements qui semblent avoir nui au charme de la ville, même si elle « est toujours charmante par sa situation ». L’auteure, « étonnée de trouver tant de petites ressources dans une si petite ville », loue les habitants, d’autant plus qu’ils se montrent réceptifs au « progrès », plus particulièrement à la médecine.
Justement, elle y retrouve le docteur Paul Darchy qui l’avait soignée quelques années auparavant :
– Cher ami, lorsqu’il y a dix ans la mort me tenait doucement endormie, pourquoi les deux amis fidèles qui me veillaient nuit et jour, toi et le docteur Vergne de Cluis, m’avez-vous arrachée à ce profond sommeil où mon âme me quittait sans secousse et sans déchirement ?
George Sand, Journal d’un voyageur pendant la guerre.
Bibliographie
George Sand, Le Voyage en Auvergne et en Velay, in Présence de George Sand, n° 36, février 1990.