Le prince de Galles…

Élie Berthet | Le Château de Montbrun (1847)

Le prince de Galles, à qui son père, Édouard III, avait donné l’Aquitaine en toute souveraineté, venait de tirer une affreuse vengeance de Limoges ; cette ville, profitant de son absence, s’était rendue à Duguesclin et au duc de Berry. Le prince était malade à Angoulême de la maladie dont il mourut deux ans plus tard, lorsqu’il apprit cette défection. Quoiqu’il fût incapable de soutenir le poids de son armure, il réunit une puissante armée et vint mettre le siège devant la cité rebelle. Il y entra par la brèche, et terrible dans sa colère, il passa tous les habitants au fil de l’épée. Après ce sanglant exploit, qui fit trembler la France et qui fut le dernier du prince Noir, il licencia ses troupes, comme cela se pratiquait à cette époque, où les armées n’étaient pas permanentes ; puis il reprit dans sa litière le chemin d’Angoulême. Cette expédition avait été prompte, inattendue. Duguesclin occupé alors à trente lieues de là, dans le Périgord, n’avait pas eu le temps d’assembler des troupes suffisantes pour secourir la malheureuse Limoges.

Pendant les trois jours qui suivirent ce grand désastre, les routes aux environs de la ville saccagée étaient couvertes de chevaliers, d’hommes d’armes, d’archers de toutes nations qui avaient formé l’armée anglaise. Ils se retiraient par petites troupes dans différentes directions. Malheur aux voyageurs qui venaient à rencontrer ces bandes turbulentes, enivrées par le succès ! Les gens de guerre à cette époque avaient seulement pour solde le pillage, et ils s’inquiétaient peu de piller des amis ou des ennemis.

Élie Berthet, Le Château de Montbrun, M. et P.-E. Charaire (Sceaux), 1875, p.2.

Dans l’incipit du Château de Montbrun, Élie Berthet commence par questionner « l’institution » de la chevalerie, « tant exaltée, […] admirée » par les écrivains, qui n’en ont finalement fait qu’une brillante « fantasmagorie » que « l’époque actuelle […], avec son esprit d’examen universel » a finalement déconstruit pour en faire apparaître la triste réalité.

Dans ces siècles où elle s’attendait à trouver la religion avec toute sa pureté, l’honneur avec toute son inflexibilité, l’amour de la patrie avec tout son désintéressement, elle n’a plus trouvé que superstition grossière, égoïsme brutal, passions sauvages et effrénées.

Élie Berthet, Le Château de Montbrun, M. et P.-E. Charaire (Sceaux), 1875.

Toutefois, ce n’est que pour mieux, par la suite, encenser les mérite d’un homme…

Élie Berthet établit ensuite, en un rapide aperçu, la situation dans laquelle se trouve l’Aquitaine au cœur de cette guerre de Cent Ans qui la voit disputée entre Anglais et Français, sans répit. De là, l’auteur resserre le cadre de son intrigue sur le Limousin, en 1370, juste après le sac de Limoges par Édouard Plantagenêt, prince de Galles et héritier du trône d’Angleterre.

Il est certaines parties de France où cette barbarie du moyen âge a été plus horrible, s’est prolongée plus longtemps qu’ailleurs ; par exemple, la Guyenne, le Poitou, le Limousin et toutes les provinces du centre et du midi formant l’ancienne Aquitaine. Ce malheureux pays, que la France et l’Angleterre se disputèrent si longtemps, n’avait de sympathie réelle ni pour l’une ni pour l’autre. L’Aquitaine, et même toute cette moitié de la France comprise entre la Loire et les Pyrénées, avait à cette époque ses mœurs, sa langue, ses coutumes particulières ; elle ne se considérait pas comme partie intégrante du domaine des souverains résidant à Paris. Les Français proprement dits, c’est-à-dire les peuples de la langue d’Oil, lui étaient aussi étrangers que les Anglais eux‐mêmes. Le mal que lui avaient fait les deux partis, les lui avait rendus également odieux ; les luttes incessantes dont elle était l’objet, exaltaient sa haine contre tout pouvoir aspirant à la dominer.

On sent combien un pareil état de choses était de nature à favoriser les ambitions, les vices des Aquitains. Vers l’année 1370, pendant que Charles V régnait à Paris, et Édouard, le prince Noir, à Bordeaux, l’Aquitaine entière souffrait des plus épouvantables fléaux. La terre était en friche, les villages étaient abandonnés et dévastés ; les population s’étaient réfugiées dans l’enceinte des villes fermées et des châteaux forts. Parmi ces villes ou ces châteaux, les uns tenaient pour Édouard, les autres pour Charles, d’autres n’arboraient les couleurs d’aucun parti et conservaient une neutralité prudente.

Élie Berthet, Le Château de Montbrun, M. et P.-E. Charaire (Sceaux), 1875.