Le Sermonneur…

Élie Berthet | Le Château de Montbrun (1847)

Le Sermonneur lui imposa silence par un geste impérieux.

— Il y a quinze ou vingt ans, reprit‐il d’une voix grave, je ne me souviens pas au juste de la date, j’étais dans une compagnie de lances au service d’Édouard d’Angleterre et nous ravagions sans pitié les campagnes de Gascogne. A Angoulême, un espion vint dire à messire Jean Chandos, notre commandant, que la plupart des couvents du Limousin et du Périgord avaient caché leurs reliques et leurs trésors dans l’abbaye du Châlard ; c’est un monastère important, situé à quelques lieues de l’endroit où nous sommes ; en envoyant seulement deux cents lances pour enlever l’abbaye, on devait faire beaucoup de butin en or et en argent. En outre plusieurs personnages du haut rang avaient, disait‐on, cherché asile au Châlard, et si on pouvait les prendre, on obtiendrait d’eux de grosses rançons. Messire Jean Chandos ordonna aussitôt une chevauchée. Nous arrivâmes au couvent ; les vassaux et les moines résistèrent ; il nous fallut former un siège en règle ; nous perdîmes beaucoup d’hommes et beaucoup de temps. Cela nous exaspéra et après avoir emporté la place, nous ne voulûmes accorder merci à personne ; tout fut mis à feu et à sang.
« Quant à moi, échauffé par la bataille, exaspéré de la mort de mon coustiller, qui venait d’être renversé en montant à l’assaut, j’avais presque perdu la raison… Aussi plus d’un pauvre moine tomba‐t‐il sanglant sous mon épée… Que Dieu me pardonne ces sacrilèges ! J’allais, égaré, furieux, renversant tout ce qui se trouvait sur mon passage.
« Nous avions envahi les cloîtres, et déjà on oubliait le massacre pour le pillage. Les Anglais s’étaient répandus de tous côtés, faisant main basse sur les trésors renfermés dans le monastère. Désirant avoir part, comme les autres, à une si belle proie, je montai l’escalier d’une tourelle isolée ; j’arrivai dans une petite chambre fort richement meublée d’où partaient des cris perçants. Un enfant de deux ou trois ans environ, somptueusement vêtu, pleurait à côté d’une femme morte et étendue sur le parquet. […]

Élie Berthet, Le Château de Montbrun, M. et P.-E. Charaire (Sceaux), 1875, p.50.

Avant le combat qui doit voir les routeurs du capitaine Bonne‐Lance affronter les troupes du baron de Montbrun, l’un d’eux, surnommé le Sermonneur, se livre à Petit‐Basque et lui confie ses dernières volontés. Celles‐ci tiennent dans la remise de documents prouvant l’identité de l’enfant adopté par son capitaine lors du sac de l’abbaye du Chalard.

Après ma mort, tu t’empareras des parchemins et tu t’en iras au Châlard, non loin d’ici ; tu prendras toutes les informations nécessaires pour savoir qui était cet enfant disparu. Si tu le découvres, tu lui rendras ledit paquet, et probablement tu recevras une bonne récompense. Si tu n’as de lui aucune nouvelle, après une année de recherches, tu jetteras les titres au feu et tu prieras Dieu pour mon âme.

Élie Berthet, Le Château de Montbrun, M. et P.-E. Charaire (Sceaux), 1875

Le lendemain, le Sermonneur verra effectivement son heure sonner. Petit‐Basque n’aura pas loin à faire pour tenir sa promesse : les parchemins en question permettent d’identifier le troubadour Gérald de Montagu comme étant Guillaume de Lastours, légitime héritier du château du même nom.