Eugène Delacroix
Né en 1798, Eugène Delacroix est le fils de Charles Delacroix, ministre, ambassadeur, et préfet, et de Victoire Œben. Une rumeur le veut par ailleurs fils naturel de Talleyrand qui l’accompagnera au début de sa carrière en lui présentant le Salon de l’influent baron Gérard.
Delacroix commence son enseignement artistique auprès de Pierre‐Narcisse Guérin à l’école des Beaux‐Arts de Paris en 1816. Il se passionne à l’origine pour les maîtres de la renaissance mais sa rencontre avec Théodore Géricault le plonge vers des préoccupations et esthétiques plus actuelles, notamment le romantisme. Il effectue son premier envoi au Salon de 1822 avec la Barque de Dante, aussitôt saluée par le baron Gérard et le peintre Antoine‐Jean Gros. Deux ans plus tard, la mort de Géricault le hisse en tête de l’école romantique.
Puis viennent les campagnes d’Égypte et l’attrait pour l’Orientalisme qui en résulte. Delacroix apprend à peindre de nouveaux costumes et s’affirme dans la puissance de ses couleurs, dont son rouge tant remarqué. En 1828, il signe un nouveau chef‑d’œuvre avec la Mort de Sardanapale, début d’une quantité de toiles dédiées aux drames historiques. Entre 1831 et 1832 il voyage en Algérie, au Maroc et en Espagne. Il en rapporte de profondes influences grecques et romaines. De retour à Paris, Delacroix retravaille ses couleurs en étudiant les recherches de Chevreul. À la fin des années 1830 son romantisme s’estompe peu à peu. Il se tourne davantage vers la nature. Il se rend à Nohant chez George Sand, et y donne des cours de dessin au jeune Maurice. Dès 1838, il se voit passer des commandes officielles pour des ensembles décoratifs. Il décore la bibliothèque du palais Bourbon, celle du Sénat, le salon de la Paix de l’hôtel de ville de Paris, ou encore la galerie d’Apollon au Louvre.
Il s’éteint en 1863 des suites d’une tuberculose dont il souffre depuis 1835.
Les voyages de Delacroix en Limousin
S’il semble que Nicolas Poussin ait séjourné en Limousin et plus précisément au Saillant, sur les bords de la Vézère (selon Marie Henriot dans son article « Les peintres de paysage dans la région limousine et marchoise (Haute‐Vienne, Corrèze, Creuse » pour le tome 57 du Bulletin de la Société scientifique historique et archéologique de la Corrèze citant l’érudit local Poulbrière), Eugène Delacroix apparaît bien être le premier peintre à s’intéresser pleinement, véritablement aux paysages limousins.
C’est en 1820, alors âgé de 21 ans, que le jeune artiste découvre la région. Il a l’habitude de passer ses étés en Charente, dans la région de Saint‐Amant‐de‐Boixe. Mais en cette année 1820 il est touché par la fièvre. Bien que fortement affaibli, une fois venu octobre, Eugène Delacroix entreprend de quitter sa forêt de Boixe pour se rendre à Souillac, dans la famille des Verninac. L’objectif de ce voyage est de rejoindre sa sœur Henriette, l’épouse de Raymond de Verninac de Saint‐Maur. Pour se rendre dans le Quercy, Delacroix traverse le Limousin, par Limoges et Brive. Arrivé à Souillac, il entreprend de mettre sur papier toutes ses impressions à travers cette lettre adressée à son ami Pierret à la date du 20 octobre 1820.
Eugène Delacroix fait un bilan du Limousin comparable à celui d’Arthur Young. Il en apprécie les mêmes choses. Tout comme l’agronome anglais, il décrit une région faiblement peuplée, recouverte de bois et de prairies. Il montre un réel intérêt pour le paysage et aimerait en rapporter quelques vues si son état le lui permettait. Malheureusement la fièvre ne le quitte pas. Un mois plus tard, désirant rentrer à Paris, il doit, pour ce faire, reprendre la route de la forêt de Boixe. Le jeune peintre entreprend donc une seconde traversée du paysage limousin à l’issue de laquelle il donne ses impressions à son ami Soulier, dans une lettre commencée le 22 octobre à Souillac et achevée le 24 novembre 1820 :
24 novembre 1820
Ce Souillac que tu vois en tête de ma lettre est le pays de mon beau‐frère où j’ai été passer un mois, à peine guéri de ma fièvre, languissant encore et faible comme une pauvre herbe sans soutien. Je suis parti de la Forêt pour m’y rendre. […] Cependant le temps pressait ; il fallait retourner à Paris. Mon neveu devant rentrer au collège, moi je voulais retourner absolument. Je pensais que le changement d’air me guérirait peut‐être. Je partis donc avec ma sœur et mon beau‐frère. A Limoges, impossible d’avoir place dans courrier ni diligence. Par Bordeaux, autre impossibilité. Le croirais‐tu ? nous dûmes retourner à la Forêt et faire plus de soixante lieues. N’oublie pas toujours que cette lettre commencée, cette maudite lettre était emballée, encaissée à la Forêt. Nous n’eûmes d’autre ressource que de nous décider d’aller avec nos chevaux et notre voiture à petites journées jusqu’à ce que nous trouvions place dans quelque chose. Après bien des traverses, j’arrive enfin à Paris aussi fiévreux qu’auparavant. Il est vrai que maintenant elle me laisse quelques jours de bon. Mais quand elle revient, adieu peinture, adieu tout. Il faut tout quitter. Tu vois ma misère.
[…]
… Je me suis un peu appliqué à l’aquarelle ces vacances. J’ai vu des montagnes magnifiques en traversant le Limousin. J’ai vu des pays admirables, mais tu manques à tout cela, et les impitoyables postillons ne s’embarrassaient d’autre chose que d’arriver au relais au mépris de mes extases.
Lettres de Eugène Delacroix (1815 à 1863), recueillies et publiées par M. Philippe Burty, A. Quantin, 1878, p.48–49.
Si au terme de ce voyage Delacroix n’a, semble‐t‐il, laissé aucune œuvre réalisée en Limousin, ce n’est visiblement qu’à contre‐cœur. Son engouement pour la région est bien présent, et si la maladie ne l’en avait empêché, on trouverait sûrement aujourd’hui plusieurs œuvres de Delacroix représentant une forêt ou une prairie limousine.
Outre ses lettres, il est aussi possible qu’une fois rentré à Paris, l’artiste fasse part à ses condisciples de ses impressions sur la région. Son voyage peut être un point de départ dans la conscience artistique du Limousin. Une conscience qui s’affirme dix ans plus tard, lorsque Jules Dupré présente au Salon les premières vues prises dans le Limousin.
S’il n’indique pas dans sa correspondance de 1820 où il réside précisément, Eugène Delacroix nous l’apprend dans son journal de l’année 1855, année où il entreprend un voyage qui l’amène à nouveau dans le Quercy et à parcourir, trente cinq ans après ses premières impressions, le Limousin.
Ainsi, ce n’est pas à Souillac même qu’il est accueilli mais au château de Croze, aujourd’hui sur la commune de Sarrazac, à moins de cinq kilomètres de la frontière entre Lot et Corrèze. Valérie Rousset, dans la notice qu’elle dresse de ce château, précise :
Le peintre occupe alors la chambre qui devint plus tard la bibliothèque, d’où l’on peut voir à la fois Turenne et Cavagnac qui furent les sujets de ses dessins.
Valérie Rousset, « Le château de Croze » pour patrimoine.midipyrenees.fr
Trente cinq ans plus tard, il reprit le chemin du Limousin. Voyage mélancolique : sa sœur et son beau‐frère étaient morts et il allait revoir des lieux peuplés de chers souvenirs. La propriété du Quercy appartenait toujours à la famille de Verninac et il y était l’hôte d’un magistrat du ressort de Limoges, François de Verninac, président du tribunal de Tulle.
note de M. Louis Lacrocq pour la Société archéologique et historique du Limousin.
Paradoxalement, Étienne Moreau‐Nélaton évoque encore plus rapidement le second séjour d’Eugène Delacroix en Limousin en 1855 (second tome de Delacroix, raconté par lui‐même : étude biographique d’après ses lettres, son journal, etc, 1916, p.162) que le premier (tome 1, p.37–38), alors que c’est au cours de ce voyage qu’il découvre le plus la région, évoquant dans son journal les visites qu’il fait de Limoges, de Brive et de Turenne (dont il fait une esquisse en marge de son journal). Surtout, c’est de cette année 1855 que nous provient le « témoignage pictural » de la présence du peintre en Limousin, avec une Vue panoramique d’une plaine avec des montagnes dans le lointain ; entre Brive et Souillac.
Bibliographie
Bulletin de la Société archéologique et historique du Limousin, tome 71, Ducourtieux, 1924 (disponible sur Gallica).
Marie Henriot, « Les peintres de paysage dans la région limousine et marchoise (Haute‐Vienne, Corrèze, Creuse)», Bulletin de la Société scientifique historique et archéologique de la Corrèze, tome 57, 1935 (disponible sur Gallica).
Étienne Moreau‐Nélaton, Delacroix, raconté par lui‐même : étude biographique d’après ses lettres, son journal, etc., Henri Laurens, 1916 (deux volumes disponibles sur archive.org : vol.1 & vol. 2).
Œuvres
Correspondance
A Pierret,
Souillac, 20 octobre 1820,
Mon cher ami, j’ai reçu ta lettre la veille de mon départ pour ici. C’était le soir, j’avais déjà fait mon sacrifice et je n’espérais plus rien avoir de vous autre dans la Charente. Je ne te dis donc pas le plaisir que j’ai ressenti. Je lisais et je relisais, et ce fut une des occupations de ma route. Quand j’ouvre ta lettre, je suis comme un homme à qui…
Journal
11 septembre. — Arrivé à Limoges vers onze heures, je m’installe pour la journée à l’hôtel du Grand Périgord ; je fais un déjeuner dont j’avais besoin après l’insupportable voyage. Je vois la ville, le musée, l’église Saint‐Pierre, la cathédrale, Saint‐Michel.
La cathédrale est inachevée, la nef manque. En général, les églises de tout ce pays sont d’une obscurité lugubre. Je me suis endormi da…