Chez les magiciens et les sorciers de la Corrèze
Gaston Vuillier – 1899Il faut attendre 1899 pour que Gaston Vuillier propose un nouveau reportage au Tour du monde consacré au Limousin, et plus particulièrement à la Corrèze qu’il a découverte en 1893 à l’occasion de « En Limousin (paysages et récits)». Ayant été marqué par Gimel et ses cascades, il s’y installe en partie et commence à acheter des terrains mitoyens aux chutes à partir de 1898.
Avec « Chez les magiciens et les sorciers de la Corrèze », Gaston Vuillier propose une véritable enquête consacrée aux « médecines », rites et croyances locales, rendant compte par l’écrit et l’illustration (presque exclusivement des aquarelles) de ses rencontres et discussions avec différents metzes ainsi que des procédés que ceux‐ci mettent en œuvre aussi bien pour guérir que pour envoûter.
Les dessins et le récit sont indissociables : le récit donne le contexte des scènes représentées, cite les lieux, les personnages, les circonstances des rencontres. Les dessins sont des compositions travaillées où les effets de clair‐obscur sont mis au service de l’effet saisissant voulu.
Il convient de noter l’importance qu’accordait le fondateur de la revue Le Tour du monde, Édouard Charton, aux gravures accompagnant les reportages qu’il publiait :
Il paraîtra naturel que nos efforts tendent à donner aux gravures du Tour du monde une importance égale à celle du texte même. Si dans les œuvres poétiques ou romanesques les gravures ne sont qu’un ornement, dans les relations de voyages elles sont une nécessité. Beaucoup de choses, soit inanimées soit animées, échappent à toute description : les plus rares habiletés du style ne parviennent à en communiquer à l’esprit des lecteurs qu’un sentiment vague et fugitif. Mais que le voyageur laisse la plume, saisisse le crayon, et aussitôt, en quelques traits, il fait apparaître aux yeux la réalité elle‐même qui ne s’effacera plus du souvenir.
Ainsi m'apparut
Ainsi m’apparut la demeure du plus célèbre sorcier de la Corrèze. La réputation de Vauzanges, dit Nouné, s’étend jusque dans les départements voisins. De toutes parts on vient le consulter. L’imagination populaire lui prête des pouvoirs occultes extraordinaires. On affirme que, braconnant un matin, il fut surpris par les gendarmes qui se mirent à ses trousses, et, comme il allait être pris, il se retourna. On ne sait par quel prodige les gendarmes aussitôt…
C'était bien là...
C’était bien là l’errant de la lande, le familier des gorges désertes où le Doustre, en sa course impétueuse, se heurte aux blocs de granit. Il correspondait bien au type légendaire qui gouverne les bêtes démones et exerce l’antinagualisme. On sait que la croyance au « nagualisme », ce pacte étrange conclu entre l’homme et l’animal, est commune à bien des peuples qui n’ont jamais eu entre eux aucun contact.
[…]
Notre homme possède, dit‐on, un grand emp…
Chazal...
Chazal, avec lequel j’étais en relations amicales, vint un jour me trouver, et, quoique personne ne fut là pour nous entendre, il me prit par le bras, m’entraîna dans un coin et, se penchant vers mon oreille, me dit mystérieusement, à voix très basse : « Venez ce soir à la forge, à 10 heures, on vous attendra ; vous frapperez trois coups. Gardez ceci pour vous seul », ajouta‐t‐il. Et il disparut. Évidemment, connaissant mon homme, je soupçonnais qu’il avait u…
Ici...
Ici, en dehors de l’empreinte sauvage que donnent aux montagnards les bois, les torrents et les nuées, nous constatons d’abords l’action manifeste de lois ataviques. Dans une étude très sérieuse et très savante sur les races humaines du plateau central, publiée par le Bulletin archéologique de la Corrèze, M. Roujou a établi que les points culminants de la région corrézienne servirent d’asile aux plus anciennes races de l’Occident.
Il a découvert, au mil…
J'avais quitté...
J’avais quitté les froides hauteurs de la Corrèze où le vent soufflait l’hiver, j’avais revu Tulle et j’étais arrivé à Favars. Là je retrouvais l’automne avec des rayons tièdes encore et des fleurs. Cette journée restera comme un charme dans mon souvenir. Et d’ailleurs la compagnie aimable dans laquelle je me trouvais ajoutait un attrait aux jolies choses du chemin, au gracieux pittoresque de Favars, dont les maisons blanches scintillent au milieu de grand…
Le mot metze...
Le mot metze, meige en vieux français, désigne, en patois limousin, tout à la fois le médecin, le mage et le magicien. L’étymologie du nom est assez obscure.
Quoi qu’il en soit, l’un d’eux, Chazal, exerça longtemps le métier de forgeron. Un peu partout, le forgeron, familier du feu, passe pour manier des forces occultes, probablement vieux souvenirs ataviques des Cabires, compagnons de Vulcain dans les fournaises de l’Etna. On dit celui‐ci en possessi…
Le pâtre solitaire...
Le pâtre solitaire trempe dévotement ses lèvres dans l’eau sainte, de bien loin le malade accourt, pour y laver ses plaies. Le voyageur, religieusement emplit sa gourde et l’emporte dans sa maison pour la préserver des maux futurs. De bien loin les pèlerins s’y donnent rendez‐vous. M. Champeval me révélait les origines de ces fontaines. […]
« Pour les races primitives, me disait‐il, adoratrices des phénomènes naturels et surtout pour les Gaulois plus e…
Naudze...
Naudze, en patois limousin, me semble désigner l’état de langueur, quelle qu’en soit la cause, le cas d’un enfant, par exemple, qui ne peut plus « ni vivre ni mourir », comme disent les commères.
Dans le courant de l’été, j’avais été conduit dans un hameau voisin de Gimel pour visiter un petit malade atteint de ce mal mystérieux.
L’enfant, très pâle, était retenu dans son berceau, selon la coutume limousine, par des bandelettes entre‐croisées. Alentour, da…
Puis, çà et là...
Puis, çà et là des troupeaux paissaient, la dent sur l’herbe, en des pacages maigres rayés de minces canaux aux luisants d’acier. Plus haut, aux approches des sommets, sur des pentes mamelonnées, des vapeurs s’exhalaient des prés et des ruisseaux, elles flottaient en écharpes bleuâtres sur la pourpre des bruyères mortes.
[…]
A la faveur d’une éclaircie nous nous acheminons vers la vieille église du pays, humide et sombre. Puis, gravissant une colline…
Puis un joli chemin...
Puis un joli chemin sous bois, bordé de mousses, côtoyant un chaos de rochers nommé le « Sautaillot », où le torrent grondeur se fraye avec peine un passage, nous amène à l’étang de Ruffaud.
Près de la rive émerge une petite croix de pierre. Les harmonies du vent dans les pins, l’éternel frisson des eaux bercent ici le souvenir du poète Alexis de Valon qu’une tragique mort surprit en ce lieu.
Le poète avait rapporté d’un voyage en Sicile la légende des âme…
Un matin...
Un matin, donc à l’aube, je quittais le bas Limousin, ses bois, ses profondes gorges où murmurent les ruisseaux, où grondent les torrents. En arrivant sur le plateau intermédiaire, déjà le paysage était transformé, les étangs ne sommeillaient plus sous les chênes : ils s’étalaient dans la bruyère, froids et clairs, tels que des plaques d’étain. A perte de vue, les champs de Brach, où des seigles verdissaient à peine, où pointait quelque tour à poivrière d’…