Jeanne

George Sand – 1844

Au décès de sa mère, Tula, Jeanne, jeune bergère de Toulx‐Sainte‐Croix, est invitée par Guillaume de Boussac au château de Boussac pour se mettre au service de sa mère, désireux de se faire pardonner le renvoi injuste de Tula, sa nourrice.
Elle va y déclencher les passions. Trois hommes la désire : Guillaume de Boussac, un jeune aristocrate mélancolico‐rêveur, Marsillat, un avocat en quête de bonnes fortunes paysannes et sir Arthur, un riche Anglais au cœur noble. Mais sa grande beauté déclenche aussi les craintes et les jalousies de Madame de Charmois, femme du sous‐préfet, qui voit en elle une rivale pour sa fille en quête d’un mari.
Mais Jeanne reste imperturbablement indifférente aux sentiments qu’elle provoque, se refuse à tout mariage au nom d’un vœu fait autrefois à sa mère.

Jeanne est le roman de deux premières pour George Sand. C’est en effet la première fois que l’auteure s’essaie, en cette année 1844, à la publication en feuilleton (dans le Constitutionnel); cependant, elle ne se conforme pas au genre, ne se soumettant pas au suspense de fin de livraison, comme elle l’explique dans une notice qu’elle rédige en 1852, s’associant à Balzac dans cette volonté de ne pas finir un chapitre sur une péripétie intéressante, qui devait tenir sans cesse le lecteur en haleine, dans l’attente de la curiosité ou de l’inquiétude.

Tel n’était pas le talent de Balzac, tel est encore moins le mien. Balzac, esprit plus analytique, moi, caractère plus lent et plus rêveur, nous ne pouvions lutter d’invention et d’imagination contre cette fécondité d’événements et ces complications d’intrigues. […] nous n’avons pas voulu l’essayer, non par dédain du genre et du talent d’autrui […] Nous n’avons pas voulu l’essayer, par la certitude que nous sentions en nous de n’y pas réussir et d’avoir à y sacrifier, des résultats de travail qui ont aussi leur valeur, moins brillante, mais allant au même but.

George Sand, 1852.

C’est également la première incursion de George Sand dans le genre du roman champêtre, comme Sainte‐Beuve le note le 18 février 1850, dans une de ses chroniques réunies dans ses Causeries du lundi (volume I) :

Le roman de Jeanne est celui dans lequel elle a commencé de marquer son dessein pastoral. Pourtant le personnage de Jeanne, la bergère d’Ep-Nell, est bien poétique, bien romanesque encore ; les souvenirs druidiques interviennent dès les premières pages pour agrandir et idéaliser la réalité.

Sainte‐Beuve, Causeries du lundi, volume I, Garnier, 1851.

George Sand note, quant à elle, dans la notice de 1852 : Jeanne est une première tentative qui m’a conduit à faire plus tard la Mare au Diable, le Champi et la Petite Fadette.

Mais, pour champêtre que soit Jeanne, George Sand laisse apparaître dans ce roman ses idées républicaines voire socialistes ; ainsi, Marie, la sœur de Guillaume de Boussac, peut déclarer : je sais que Jeanne est notre égale, Guillaume […] aucune de mes amies du couvent ne m’a inspiré la confiance et le respect que Jeanne m’inspire.

Dans les montagnes de la Creuse...

Dans les montagnes de la Creuse, en tirant vers le Bourbonnais et le pays de Combraille, au milieu du site le plus pauvre, le plus triste, le plus désert qui soit en France, le plus inconnu aux industriels et aux artistes, vous voudrez bien remarquer, si vous y passez jamais, une colline haute et nue, couronnée de quelques roches qui ne frapperaient guère votre attention, sans l’avertissement que je vais vous donner. Gravissez cette colline ; votre cheval v…

Perdu dans ses pensées...

Perdu dans ses pensées et repassant dans son esprit les pompeuses descriptions de la Gaule poétique de Marchangy, il laissa sur sa gauche le camp romain de Soumans, et se dirigea, un peu à l’aventure, vers la montagne de Toull qu’il s’était promis de visiter avec attention, et qu’il n’avait jamais vue que de loin. En dépit des instances de sa mère, il n’avait voulu se faire accompagner d’aucun guide, d’aucun domestique, afin de mieux se livrer à ses impres…

Après avoir regardé...

Après avoir regardé les trois lions de granit, monuments de la conquête anglaise au temps de Charles VI, renversés par les paysans au temps de la Pucelle, brisés, mutilés et devenus informes, qui gisent le nez dans la fange, au beau milieu de la place de Toull, Guillaume se dirigea vers la tour féodale, dont les fondements subsistent dans un bel état de conservation, et dont un habitant de l’endroit s’est fait un caveau pour serrer ses denrées. Il l’a reco…

— Votre pays est fort curieux...

– Votre pays est fort curieux, en effet, monsieur le curé, lui dit‐il au dessert, et je regrette fort de n’avoir pas le coup d’œil exercé d’un antiquaire pour découvrir dans chaque caillou que je rencontre un vestige d’habitation gauloise ou romaine, un autel druidique, une statue d’Huar‐Bras, le Mars gaulois, une tombe illustre, enfin tout ce que les savants aperçoivent et constatent sous un lichen âgé de deux ou trois mille ans, et sur des blocs inform…

— Eh bien !

– Eh bien ! voyons donc votre histoire, reprit le curé pour se donner quelque contenance ; quelque sornette !
– Écoutez ! vous savez bien la roche de Baume sur laquelle on voit l’empreinte d’un pied humain ?
– C’est le pied de Saint‐Martial qui est venu en personne détruire le culte des idoles et prêcher le christianisme à Toull‐Sainte‐Croix, l’an de notre Seigneur…
– Il s’agit bien de Saint‐Martial et de notre Seigneur ! Faites semblant d’y croire. Je v…

La ville de Boussac...

La ville de Boussac, formant, avec le bourg du même nom, une population de dix‐huit à dix‐neuf cents âmes, peut être considérée comme une des plus chétives et des plus laides sous‐préfectures du centre. Ce n’est pourtant pas l’avis du narrateur de cette histoire. Jeté sur des collines abruptes, le long de la Petite‐Creuse, au confluent d’un autre ruisseau rapide, Boussac offre un assemblage de maisons, de rochers, de torrents, de rues mal agencées, et de c…

Le château de Montbrat...

Le château de Montbrat que, soit par corruption, soit conservation de son nom véritable, les paysans appellent aussi la forteresse des Mille‐Bras, est une ruine imposante située sur une montagne. La ruine féodale est assise sur des fondations romaines, lesquelles prirent jadis la place d’une forteresse gauloise. Ce lieu a vu les combats formidables des Toullois Cambiovicenses contre Fabius. Je crois qu’on découvre encore par là aux environs quelques vest…