En disant ces derniers mots…
Honoré de Balzac | Le Curé de village (1839)
L’abbé Bonnet est le guide de Véronique Graslin, l’invitant à s’investir pleinement dans l’enrichissement de son domaine et de sa population, lui indiquant, grâce à la tapisserie de couleurs que dessinent l’automne sur la forêt de Montégnac (pour la localisation de Montégnac, voir ici), les caprices du Gabou, rivière qui se fait par endroits souterraine, et les travaux d’irrigation nécessaires pour rendre la culture et, conséquemment l’élevage possibles.
– Vous ne remarquez pas, dit‐il en devinant dans ce regard l’ignorance de Véronique, des lignes où les arbres de toute espèce sont encore verts ? – Ah ! c’est vrai, s’écria-t-elle. Pourquoi ? – Là, reprit le curé, se trouve la fortune de Montégnac et la vôtre, une immense fortune que j’avais signalée à monsieur Graslin. Vous voyez les sillons de trois vallées, dont les eaux se perdent dans le torrent du Gabou. Ce torrent sépare la forêt de Montégnac de la Commune qui, de ce côté, touche à la nôtre. À sec en septembre et octobre, en novembre il donne beaucoup d’eau. Son eau, dont la masse serait facilement augmentée par des travaux dans la forêt, afin de ne rien laisser perdre et de réunir les plus petites sources, cette eau ne sert à rien ; mais faites entre les deux collines du torrent un ou deux barrages pour la retenir, pour la conserver, comme a fait Riquet à Saint‐Ferréol, où l’on pratiqua d’immenses réservoirs pour alimenter le canal du Languedoc, vous allez fertiliser cette plaine inculte avec de l’eau sagement distribuée dans des rigoles maintenues par des vannes, laquelle se boirait en temps utile dans ces terres, et dont le trop‐plein serait d’ailleurs dirigé vers notre petite rivière. Vous aurez de beaux peupliers le long de tous vos canaux, et vous élèverez des bestiaux dans les plus belles prairies possibles. Qu’est-ce que l’herbe ? du soleil et de l’eau. Il y a bien assez de terre dans ces plaines pour les racines du gramen ; les eaux fourniront des rosées qui féconderont le sol, les peupliers s’en nourriront et arrêteront les brouillards, dont les principes seront pompés par toutes les plantes : tels sont les secrets de la belle végétation dans les vallées. Vous verrez un jour la vie, la joie, le mouvement, là où règne le silence, là où le regard s’attriste de l’infécondité.
Honoré de Balzac, Le Curé de village, Bibliothèque électronique du Québec, p.256–258.
L’abbé Bonnet, outre son rôle de guide spirituel et moral auprès de la population et de Véronique, apparaît comme une espèce d’archétype, très XIXe, du personnage techniciste, riche de lectures de nombreuses revues scientifiques, et pouvant de ce fait se targuer de pouvoir plier la nature à ses désirs.