Monsieur de Pourceaugnac
C’est « pour le divertissement du Roi » que Molière écrit en septembre 1669 la comédie‐ballet Monsieur de Pourceaugnac ; créée pour la première fois à Chambord le 6 octobre 1669 pour Louis XIV et sa cour avec une partition de Lully, elle est ensuite donnée en public à de multiples reprises.
Julie et Éraste s’aiment mais la jeune fille est promise, par son père Oronte, à son avocat limougeaud, Monsieur de Pourceaugnac. Mais Éraste, aidé de la « femme d’intrigue » Nérine et de l’«homme d’intrigue » napolitain Sbrigani, va déployer nombre de stratagèmes pour éloigner cette perspective.
NÉRINE.— Assurément. Votre père se moque‐t‐il de vouloir vous anger de son avocat de Limoges, Monsieur de Pourceaugnac, qu’il n’a vu de sa vie, et qui vient par le coche vous enlever à notre barbe ? Faut‐il que trois ou quatre mille écus de plus, sur la parole de votre oncle, lui fassent rejeter un amant qui vous agrée ? Et une personne comme vous, est‐elle faite pour un Limosin ? S’il a envie de se marier, que ne prend‐il une Limosine, et ne laisse‐t‐il en repos les chrétiens ? Le seul nom de Monsieur de Pourceaugnac m’a mis dans une colère effroyable. J’enrage de Monsieur de Pourceaugnac. Quand il n’y aurait que ce nom‐là, Monsieur de Pourceaugnac, j’y brûlerai mes livres, ou je romprai ce mariage, et vous ne serez point Madame de Pourceaugnac. Pourceaugnac ! Cela se peut‐il souffrir ? Non, Pourceaugnac est une chose que je ne saurais supporter, et nous lui jouerons tant de pièces, nous lui ferons tant de niches sur niches, que nous renverrons à Limoges Monsieur de Pourceaugnac.
Molière, Monsieur de Pourceaugnac, acte I, scène 1.
Il ne faut que peu de temps à Sbrigani pour juger Monsieur de Pourceaugnac et affirmer qu’il pourra être manœuvré à leur guise :
SBRIGANI.— Monsieur, votre homme arrive, je l’ai vu à trois lieues d’ici, où a couché le coche ; et dans la cuisine où il est descendu pour déjeuner, je l’ai étudié une bonne grosse demie heure, et je le sais déjà par cœur. Pour sa figure, je ne veux point vous en parler, vous verrez de quel air la nature l’a dessiné, et si l’ajustement qui l’accompagne y répond comme il faut ; mais pour son esprit, je vous avertis par avance qu’il est des plus épais qui se fassent ; que nous trouvons en lui une matière tout à fait disposée pour ce que nous voulons, et qu’il est homme enfin à donner dans tous les panneaux qu’on lui présentera.
Molière, Monsieur de Pourceaugnac, acte I, scène 2.
C’est justement Sbrigani qui accueille Monsieur de Pourceaugnac lorsqu’il pénètre dans Paris où il est vite l’objet de moqueries, du fait de sa tenue. C’est alors qu’Éraste arrive et se joue du Limougeaud et de sa mémoire, s’inventant un séjour de « deux ans entiers » à Limoges au cours duquel ils auraient été les meilleurs amis qui soient.
Ainsi, non seulement Éraste était très bien introduit auprès de la famille de Monsieur de Pourceaugnac, mais, ensemble et à de très nombreuses occasions, ils auraient fait bonne chère chez le traiteur Petit‐Jean et se seraient promenés au cimetière des Arènes (aujourd’hui, en contrebas du jardin d’Orsay, place Winston‐Churchill).
Une fois sa confiance gagnée, Éraste l’amène non pas à son logis mais chez un médecin chargé de le soigner de sa soi‐disant folie, médecin plus que compétent si l’on en croit l’apothicaire :
L’APOTHICAIRE.— Je sais ce que c’est, je sais ce que c’est, et j’étais avec lui quand on lui a parlé de cette affaire. Ma foi, ma foi, vous ne pouviez pas vous adresser à un médecin plus habile ; c’est un homme qui sait la médecine à fond, comme je sais ma croix de par Dieu ; et qui, quand on devrait crever, ne démordrait pas d’un iota des règles des anciens. Oui, il suit toujours le grand chemin, le grand chemin, et ne va point chercher midi à quatorze heures ; et pour tout l’or du monde, il ne voudrait pas avoir guéri une personne avec d’autres remèdes que ceux que la Faculté permet. […] Ce n’est pas parce que nous sommes grands amis, que j’en parle ; mais il y a plaisir, il y a plaisir d’être son malade ; et j’aimerais mieux mourir de ses remèdes, que de guérir de ceux d’un autre : car, quoi qui puisse arriver, on est assuré que les choses sont toujours dans l’ordre ; et quand on meurt sous sa conduite, vos héritiers n’ont rien à vous reprocher.
Molière, Monsieur de Pourceaugnac, acte I, scène 5.
Si Monsieur de Pourceaugnac parvient à échapper aux diagnostic, pronostic et traitements de ce médecin d’autant plus compétent qu’accompagné d’un de ses collègues, il se voit vite à nouveau abusé, particulièrement par Julie jouant la femme coquette et inconstante, et accusé, notamment de polygamie… Une seule issue pour lui : la fuite ; mais il s’agit là encore que d’une nouvelle épreuve pour lui, qui doit non seulement se déguiser en femme mais également délester un peu plus sa bourse.
Molière, à qui Limoges doit pardonner son Monsieur de Pourceaugnac, car dans cette comédie, le seul honnête homme c’est M. de Pourceaugnac, et tous ceux qui le dupent sont des coquins, Molière prétendait qu’à Limoges il n’y avait de bons que les petits pois. Les petits pois y sont excellents, je l’avoue, mais ce n’est pas tout.
Jules Claretie, Journées de vacances, E. Dentu, 1886, p.389.