Jean Giraudoux | Siegfried et le Limousin (1922)
REDACTION ET NOMENCLATURE : LA BAIGNEUSE DE BELLAC. Tu affectas de plonger à ma vue, puis, reparaissant, tu fis les yeux de celle qui revient de grandes profondeurs, de la main tu époussetas sur la surface de l’eau quelques tâches ensoleillées comme une femme les traces sur son corsage de la poudre de riz et une ondine les écailles détachées d’elle. Mais tu n’étais pas une ondine. Tu tombais mal, car je connaissais la profondeur de chaque trou de la Bazine. Tu étais dans le trou de soixante‐cinq centimètres, assise sur un fond tapissé de chardons d’eau. Tu étais à la place où habite la truite imprenable du département, mais combien vulnérable toi‐même ! Naïade ceul‐de‐jatte, tu ignorais aussi le nom de ton fleuve. — C’est la Bazine ! te criai‐je. — Dans quelle rivière se jette‐t‐elle ? répondis‐tu, car tu espérais du moins obtenir ainsi un nom connu. — Dans le Vincou, criai‐je encore. — Mais le Vincou ? — Dans la Gartempe. Tu es obstinée, surtout nue. — Mais la Gartempe ? — Dans la Vienne… Tu ne te doutais pas de ton ridicule, car tu crois que la Vienne se jette dans le Rhône, et dans ces eaux vives qui nourissent l’Atlantique, après avoir rongé chaque château du Limousin, du Poitou et de la Touraine, tu donnais, en bombant ta gorge, en alanguissant tes yeux, un reflet destiné à Avignon et à Marseille. Je dus te dire que Young avait remonté cette rivière jusqu’à Nantes. Mais les hommes t’ont toujours plus intéressée que les fleuves, et tu cherchas aussitôt, coupée net au nombril, en sirène, par la rivière noire et la partie de toi posée sur l’eau aussi aride qu’un buste de coiffeur, à relier ce voyageur à quelque courant parisien. — Young, l’ami de Révillon ? — Non, l’ami de Pitt. — Pitt, l’ami de Sacha ? — Non, l’ami de Mirabeau. Alors, croyant que Mirabeau était du Nord, à ce nom tu sortis toute nue de l’eau, en baigneuse suédoise…
REDACTION ET NOMENCLATURE : LA BAIGNEUSE DE BELLAC.
Tu affectas de plonger à ma vue, puis, reparaissant, tu fis les yeux de celle qui revient de grandes profondeurs, de la main tu époussetas sur la surface de l’eau quelques tâches ensoleillées comme une femme les traces sur son corsage de la poudre de riz et une ondine les écailles détachées d’elle. Mais tu n’étais pas une ondine. Tu tombais mal, car je connaissais la profondeur de chaque trou de la Bazine. Tu étais dans le trou de soixante‐cinq centimètres, assise sur un fond tapissé de chardons d’eau. Tu étais à la place où habite la truite imprenable du département, mais combien vulnérable toi‐même ! Naïade ceul‐de‐jatte, tu ignorais aussi le nom de ton fleuve. — C’est la Bazine ! te criai‐je. — Dans quelle rivière se jette‐t‐elle ? répondis‐tu, car tu espérais du moins obtenir ainsi un nom connu. — Dans le Vincou, criai‐je encore. — Mais le Vincou ? — Dans la Gartempe. Tu es obstinée, surtout nue. — Mais la Gartempe ? — Dans la Vienne… Tu ne te doutais pas de ton ridicule, car tu crois que la Vienne se jette dans le Rhône, et dans ces eaux vives qui nourissent l’Atlantique, après avoir rongé chaque château du Limousin, du Poitou et de la Touraine, tu donnais, en bombant ta gorge, en alanguissant tes yeux, un reflet destiné à Avignon et à Marseille. Je dus te dire que Young avait remonté cette rivière jusqu’à Nantes. Mais les hommes t’ont toujours plus intéressée que les fleuves, et tu cherchas aussitôt, coupée net au nombril, en sirène, par la rivière noire et la partie de toi posée sur l’eau aussi aride qu’un buste de coiffeur, à relier ce voyageur à quelque courant parisien. — Young, l’ami de Révillon ? — Non, l’ami de Pitt. — Pitt, l’ami de Sacha ? — Non, l’ami de Mirabeau. Alors, croyant que Mirabeau était du Nord, à ce nom tu sortis toute nue de l’eau, en baigneuse suédoise…
Jean Giraudoux, Siegfried et le Limousin, Le Livre de poche, 1991, p. 139–140.