L’Étranger
Shimazaki Tōson – 1922Jamais publié en France, L’Étranger est le récit que Shimazaki fait de son expatriation en 1914, à Paris puis Limoges.
Avant d’y arriver, Shimazaki avait entendu parler de Limoges, connue pour ses porcelaines à l’étranger, déjà visitée par des industriels japonais une dizaine d’années auparavant. Mais cette installation provisoire en Limousin est le fruit du hasard ; c’est la logeuse parisienne de Shimazaki qui, face à l’avancée des troupes allemandes, lui conseille de se replier dans sa ville d’origine où elle a conservé de la famille. Accompagné de quelques amis, dont le peintre Masamune Tokusaburo, l’auteur s’installe au 107 de la rue de Babylone, tout près de la Vienne.
Dans ce récit, Shimazaki offre le témoignage sensible de ses relations amicales avec la population locale et de sa compassion à leur égard en ces temps troublés. Il produit aussi une description poétique et attendrie du paysage limougeaud du début de siècle, dont la dimension campagnarde transparaît très nettement.
Aujourd’hui encore, des touristes japonais de passage en France cherchent cette demeure où l’un de leurs plus célèbres écrivains a séjourné.
De nombreux visiteurs venus de très loin, en découvrant la petite maison, demeurée intacte et signalée par une plaque apposée par la municipalité en 1990, en parcourant les rues des coteaux, aujourd’hui lotis, d’où l’on perçoit toujours, de certains points bien précis, les trois clochers, en attendant des heures calmes du jour ou de la nuit pour percevoir le bruit sourd de la Vienne, en retrouvant des témoins ou des descendants de témoins des scènes décrites, ne peuvent retenir des larmes de bonheur sur les traces des pas de leur illustre compatriote.
Jean‐Pierre Levet, « Limoges, entre ville et campagne. Sous le regard poétique et compatissant de Shimazaki », in Machine à feuilles n° 15, mars 2003.
Me rendant du chemin...
Me rendant du chemin de Babylone à la Vienne, j’ai rencontré trois ou quatre fillettes que je connaissais. Nous étions bons amis depuis le jour où j’avais sauté à la corde avec elles. Toutes les fois qu’elles me voyaient, elles me disaient : « Monsieur le Japonais, venez donc jouer avec nous»…
[…]
Je suis descendu sous le pont. Là, on entendait d’habitude le bruit du linge que l’on battait, mais, ce jour‐là, les lavandières n’étaient pas nombreuses.…
Notre arrivée à la gare...
Notre arrivée à la gare coïncidait avec un départ des soldats en guerre, accompagné d’un grand rassemblement des gens de la ville. Là, l’apparition en [sic] cinq drôles d’étrangers les auraient beaucoup frappés. Immédiatement, nous avons été entourés, à droite et à gauche, d’un nombre d’hommes et de femmes s’approchant de nous pour regarder. Surgit alors une jeune femme, qui se faufilait dans la foule et venait vers nous en nous appelant par nos noms. C’…
Sur la rive opposée...
Sur la rive opposée, sur le terrain en pente, on entrevoyait, à travers les arbres, des maisons rustiques alignées, ainsi que des jardins cultivés. […] De la fenêtre, j’apercevais le chemin de Babylone à travers des treilles que recouvraient des sarments. Sur la colline, la prairie s’étendait jusqu’au bord de la rue et il arrivait que se reflètent, dans les vitres de la fenêtre derrière laquelle j’écrivais, les têtes des vaches qui s’avançaient jusqu’a…